Tu ne te rends pas compte.
Là-bas, ils seront partout. Toi, tu en a croisé peut-être une dizaine, tu les as reconnu à leur façon si particulière de marcher, ou de se tenir immobile. Si tu étais avec quelqu'un à ce moment, juste après avoir passé l'un d'entre eux, vous vous regardiez avec des airs entendus, et finissiez par éclater de rire, en leur inventant des surnoms. Si tu avançais solitaire, tu les épiais, des moqueries au coin de l'esprit. Toujours, dans ces moments, ils étaient des passants : ils ne venaient de nulle part, étaient seuls, et allaient ailleurs. Des spécimens persistant d'une minorité risible. De jolis indigènes, décoratifs comme tout. Là où tu iras, ils ne passeront plus sans s'arrêter. Ils seront dans un endroit qui leur appartient. Ils seront autour. Ce sera eux la foule ; toi, parmi eux. Et ils te regarderont, avec leurs visages aux formes étirées. Ils te regarderont, et ils auront toujours un certain rictus au coin des lèvres. Puis quand ils t'auront bien contemplée, jusqu'à te voir au travers, ils toucheront, le tissu des vêtements qu'on t'aura donné, et ta peau pour savoir si elle est bien comme la leur : froide, lisse, un grain très fin oui, contours aux os saillants juste ce qu'il faut pour que cela soit esthétique. Leurs mains et les masses conglomérées de leurs corps chercheront ce que leurs yeux n'auront pas pu atteindre. Plus méfiants, certains approcheront leurs narines et humeront tout ce qui ce dégage de toi. Tu ne doit pas être surprise, ils passeront leurs nez sur tes bras, ils s'arrêteront un peu aux aisselles et au cou, derrière les oreilles, puis ils parcoureront ton visage. C'est-à-dire, ta bouche, serrée par l'angoisse, tes propres narines, expirant parfois, l'air que tu n'arrivera plus à contenir, et puis ton front, suant, parsemé de mèches de cheveux ; ton visage immobile, fermé, comme dans l'expectative d'un gnon. Crois-moi, ils se détourneront d'un air dégoûté.
Je t'aurais au moins prévenue. Je t'aurais prévenue, oui, même si ça ne sert à rien, même si je sais que quand je te reverrais, tu seras maigre et pâle, ton ossature artistiquement dessinée apparaissant entre tes vêtements, à te promener dans une cour, le menton levé, des cernes sous les yeux.
Hey les koupins, c'est gentil de s'inquiéter pour moi, mais l'école où je vais l'an prochain, je compte y bosser, sans passer par le processus de nappy-pi-sation :)