samedi

Mmmh...

Bon, je dois l'avouer, j'ai prémédité cette rencontre... Parce que ça faisait plusieurs fois que ton nom jouait au furet du bois mesdames dans ma tète, et, oh ! bien sûr, je passais devant toi mine de rien, pourtant toute curiosité et désir. Alors il a bien fallu que je me lance.
Comme on commence une relation : salut, ça va ? Anodins main-à-mains, regards distraits, sourires en coins, l'air de pas y toucher. Oui, surtout ne pas avouer sa faiblesse, pas encore, être un peu distante face à ton baratin ; pas emballée, petit rictus, l'air de pas y croire toujours.
Et puis, ce que tu pouvais baragouiner s'est mis à m'intéresser. Sacrément même. Je ne sais absolument pas comment tu as fait (toi et ta réthorique à la fois austère, rigoureuse, et boîteuse - un parler de femme, dirais-je), mais ces gens, qui revenaient dans ton discours, je me suis mise à les connaître mieux que moi-même. Mieux : à m'intéresser à eux plus qu'à moi-même, à les anticiper, à savoir quand avoir peur pour eux. Sans les avoir jamais rencontrés. Les bonshommes et petites bonnes femmes de ton théâtre bourgeois sont devenus mes amis intimes. Me les approprier sans devoir les connaître d'une autre manière qu'à travers toi, quelle autre sublime amitié peut être...?
Jamais je ne demandais des nouvelles de l'un ou de l'autre en particulier. J'attendais simplement, comme un petit enfant, un sourire devenu entendu et gourmand aux lèvres. Tu venais, tu me rendais mon sourire (le tien, si éthéré, en complète contradiction avec ton regard tantôt froid, tantôt perdu), et tu me parlais. D'eux. Comme je t'aimais. Comme j'aimais qu'ils soient là dans ta parole. Je me blotissai contre toi, ou tu venais tu lover sur mon ventre, à raconter et à écouter toujours. C'est sans couper le fil de ton récit qu'une nuit nous nous endormîmes l'un dans les bras de l'autre.
Il a bien fallu que ça s'arrête : c'était programmé dès le début. La ligne d'arrivée, comme une ligne d'horizon visible loin, bien loin, et qu'on atteint pourtant, sans s'en rendre compte. C'était ça. Nous, c'était fini. Mais eux... Ils sont restés.
Henri et Paule Perron, Anne, Nadine, et Robert Dubreuilh, Lambert, Vincent, Lewis Brogan, Scriassine, Josette, Lucie Belhomme...
Mes petits Mandarins. Tous, alignés, bien rangés, avec vos caractères, vos envies, vos manies, vos découragements, vos rages et vos désespoirs. Je suis contente de vous connaître. Je suis heureuse de savoir que vous êtes à portée de main.
Oui, tu es à portée de main, bien rangé sur l'étagère, il n'importe qu'à moi de te retrouver, et que tu les ressucite à nouveau, eux, pour moi. Merci.

Simone de Beauvoir, Les Mandarins - 2 superbes et sexy tomes en format poche, au papier délicieux.

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