mardi

Valérie sursauta, en plein milieu de la chaussée, et courut à la plus proche cabine téléphonique. De petites convulsions continuaient de parcourir ses membres, ses extrémités, alors qu'elle tapait presque violemment le numéro. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé avant ?

"Allô ! Allô !"

Elle savait qu'elle parlait toute seule, à une sonnerie vide, mais comme toujours elle ne pouvait s'en empêcher.

"- Allo...

La voix languissante d'Eugénie lui parvint, avec comme un arrière-goût de sommeil.

- Eugénie !
Et c'était presque un hurlement suraigu, tant Valérie était soulagée qu'enfin on décrochât...

-Qu'est-ce qui te prend de m'appeler à une heure pareille... Il fait nuit noire.

-Ecoute, ici c'est encore l'été, tu sais, je suis en plein cagnard, il doit bientôt être midi d'ailleurs
- Elle eut un petit rire nerveux, sur le même mode aigu à vriller les tympans -
De toute façon, de toute façon, ifaut que tu m'écoutes, tout de suite, écoute, j'ai compris, ce n'était pas normal que ça se passe comme ça...

- Mais qu'est-ce que tu racontes ?

- Ce n'était pas normal ! Tu savais que ça allait trop vite, tu connaissais ces histoires, mais ça n'était pas à cause de ça, non !

- Valérie...
-Eugénie avait une voix vraiment très fatiguée-
Tu as encore bu. Tu sais ce que ça te fait d'habitude - mondieu heureusement que j'ai pensé à confisquer jusqu'à tes ciseaux à ongles...

- Non, Non, non, non, non, tu n'y es pas du tout ! Tu ne comprends pas, Tais-toi et laisse-moi dire un peu !

Eugénie en avait mal à l'oreille gauche. Il lui semblait que jamais cette folle n'avait grimpé si haut, avec tant d'urgence. Ce qui la décida à l'écouter.

- Voilà, voilà ce qui s'est passé !
-elle gueulait à présent-
Quand il s'est approché, quand tout cela est devenu pressant et imminent, tu as fait ce que tu savais faire, la seule chose : tu as fermé les yeux. Souviens-toi ! Tu les as fermés, oh !, à peine, face à la peur, quand tu n'aurais pu dire attends, tu as cligné des yeux. Tu es restée dans ta putain de logique du désespoir et de la résignation et du mensonge à toi-même ! Et ça a suffit, ça a suffit, bordel, tu as fermé les yeux, ça a tout fermé, tu m'entends, tout !

- Non. Tu me mens. Tais-toi, ça n'a pas de sens. Arrête de projeter tes névroses sur moi, je ne suis pas, je ne suis plus, ta chose
- elle avait parlé calmement, laissant à peine passer un sanglot sec.

- ...Ha ha hah ha hah ha ha ha...
-ce rire désarticulé, fou, qu'elle connaissait trop bien, retentissait à l'autre bout du fil -
Tu es déjà ta propre chose, ma vieille : tu as oublié qu'on est sur le même bateau, hein, ma salope préférée... ça fait trop longtemps que je suis là à attendre que tu veuilles me reconnaître. Si tu savais comme je les bénis, elle et lui, pour ce que tu t'es fait ! Suce ton pouce, croise et décroise tes jambes, mens à ton analyste autant que tu veux, maintenant on va pouvoir s'amuser, petite chérie... à tout bientôt...
-La voix eut un regain de contre-ut sifflant puis se tut.-
Eugénie était recroquevillée d'angoisse sur un fauteuil à bascule, à coté du téléphone jeté avec violence, et du dictionnaire médical grand ouvert - non, Valérie ne l'avait pas surprise dans son sommeil.
Article écrit à quatre mains, en collaboration avec mon hypocondre (organe baladeur), merci mon hypocondre.

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